Passion Rando 55 - La Corrèze

HAUTE-CORRÈZE RANDO 1

On ne se bouscule pas sur le plateau de Millevaches. Cette paisible randonnée qui traverse forêts de résineux et tourbières ancestrales met en lumière l’impitoyable et silencieux combat entre l’arbre et la lande. Entre puys et tourbières

CORRÈZE

O bélix a tort. Loin d’être fous, les Romains sa- vaient bien vivre. Les ruines de la villa des Cars, avec sa galerie cou- verte, sa piscine chauf- fée ou sa salle de réception donnant sur l’étang artificiel, en sont l’émouvant témoignage. Et ils savaient aussi mourir, avec faste et panache, comme le rappellent les restes épars de ces deux mausolées du II e siècle. Il faut faire preuve d’imagination pour se représenter les paysages qui en- touraient cette belle exploitation céréalière sous la Pax Romana. Si les collines et les vallons d’aujourd’hui sont submergés par une déferlante de résineux, il en allait tout autrement jusqu’au début du XX e siècle, lorsque le chemin de fer et la promesse d’une vie urbaine plus facile incitent les paysans à quitter une région jugée trop ingrate. De vastes étendues de bruyères, ajoncs et genêts régnaient alors. Une terre d’eau et de sources Le sentier s’échappe en suivant une ligne de sapins de Douglas, grands arbres à l’écorce épaisse et crevassée de gerçures orangées qui se reconnaissent facilement à l’odeur de citronnelle répandue par le froissement de leurs aiguilles. Avec leurs fûts droits et leur croissance rapide, ils constituent l’essentiel d’un reboisement amorc¯ dans les ann¯es ȖȞȚȕ avec le ïin sylvestre et l’épicéa, qui a fait disparaître

ȞȚ ʅ des landes ˜ bruyµres sur le ïlateauȽ Passé le hameau de Celle, le chemin longe une vaste étendue fauve. « La tourbière du Longeyroux s’est formée voici sept mille ans lors des grands défrichements sur les versants des collines », explique Marie-Caroline Mahé, chargée de mission au Conserva- toire d’espaces naturels de Nouvelle-Aqui- taine. « L’eau qui n’était plus retenue par les arbres s’est accumulée dans cette cuvette et s’est transformée en tourbière, un biotope qu’il s’agit aujourd’hui de sauvegarder. Il y a peu d’espèces, mais elles sont très parti- culières, comme le lézard vivipare ou la pie- grièche grise. » On aperçoit entre les touffes des molinies les têtes de quelques-unes des țȕȕ brebis hautes sur ïattes qui, ïar leur pâture de juin à septembre, contribuent à garder le milieu ouvert. Mais au fait, où sont les bovins promis par le plateau de « Millevaches »? La toponymie est une science bien alambiquée. Il semblerait que le mot vacca soit la déformation du mot celte batz qui signifie « la source ». Avec ïrµs de Ȗȝȕȕ mm de ïr¯ciïitations ïar an, le plateau peut bien passer pour le berceau de « mille sources ». À moins que ça ne vienne du gaulois melo , le « lieu élevé » et de l’adjectif latin vacua , qui signifiait « vide ». En revenant vers Saint-Merd- les-Oussines, à travers ces vastes étendues où l’homme se fait rare, le randonneur se laisse tenter par cette thèse du « haut lieu abandonné ».

La tourbière du Longeyroux sur le plateau de Millevaches et ses ࠇࠇࠄ ࢴhectares protégés. De gauche à droite : ruines gallo-romaines des Cars, réservoir d’eau de la villa ࡷ hameau des Rioux près du site des Cars et hêtraie vers le puy Chavirangeas.

44 PASSION RANDO PRINTEMPS 2020

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